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Fièvres
45° à l'ombre ! C'est sans nul doute le jour le plus chaud de ces dix dernières années.
J'ai laissé les volets fermés pour tenter d'empêcher la chaleur de squatter la chambre, mais en vain. Je sens des gouttes de sueur descendre entre mes omoplates et le bourdonnement des mouches qui tournent inlassablement autour de la lampe rompt le silence pesant qui m'écrase. Je reconnais les premiers symptômes d'un accès de paludisme, je lutte, mais c'est inutile : le mal me submerge, la fièvre emporte mon esprit.
Le bruit des mouches s'amplifie et ce sont maintenant des palmes d'hélicoptères qui brassent l'air chaud. Il arrivent, ils sont là, larguent lâchement leurs bombes qui descendent vers nous avec un sifflement terrifiant, explosent, répandent leur napalm sur le camp. La croix rouge dessinée sur notre hôpital de campagne ne nous offre aucune protection contre cette mort aveugle. L'odeur âcre des chairs brûlées nous donne la nausée, les membres se tordent, les visages grimacent. Ceux qui ont échappé à ce feu infernal courent, paniqués, pour aller se réfugier dans la jungle ; ils oublient que les pistes sont truffées de mines antipersonnel : les pieds sont arrachés, les os cassent, les plus chanceux s'en tirent avec de vilaines plaies qui s'infecteront demain dans les marécages nauséabonds qui nous entourent.
Peu à peu, je reprends mes esprits et je sens une présence amie à mes côtés. C'est mon chien qui me lèche la main, ne comprenant pas que je reviens d'un passé lointain : Vietnam, 1962.
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Commentaires
Bonjour Pierre,
C'est violent, mais ça retranscrit bien la violence engendrée par la bêtise humaine. Je n'ai pas le souvenir de cette guerre (terminée avant ma venue en ce bas monde), mais hélas, des guerres, il y en a toujours... Et les mêmes dommages dans le cœur et dans la chair de ceux qui les vivent concrètement restent des drames sans nom.
Beau texte.
Merci pour cette lecture, bon week-end à toi.
Fabrice
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EdLundi 29 Juillet 2019 à 08:25
Bonjour Fabrice,
oui, triste épisode que cette guerre au Vietnam.
Heureux de te retrouver.
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Moi, palu dans mon enfance, je suis née en Algérie. On arrive à s'en débarrasser quand même. Mes rêves ne sont pas si horribles, heureusement pour moi et pourtant j'y retourne souvent là-bas. C'était si beau. Je n'y suis jamais retournée réellement!
Bonne fin de semaine à toi Edgard.
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Superbe participation à relever ce défi, partant de cette fièvre pour y ramener un souvenir de mes vingt ans.
Bonne fin de semaine Edgard,
Amitiés♥
Bonjour Colette,
Nous partageons donc les mêmes souvenirs d'une triste époque pour les Vietnamiens.
Bon dimanche.