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Par Edgard-Varnerel le 17 Septembre 2019 à 16:11
Ce n’est pas un château, plutôt une chaumière,
Une façade rose et des volets ocreux,
Un petit nid tranquille au bord d’une rivière
Dans un endroit désert où l’on peut vivre heureux.
Au fond de la cuisine, un bon gros chien sommeille
Devant l’âtre, couché, réchauffant son vieux corps.
Les meubles sont frottés à la cire d’abeille
Et dans le vaisselier, quelque bonne bouteille
Est prête pour l’ami quand il fait froid dehors.
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Par Edgard-Varnerel le 8 Septembre 2019 à 22:37
Le ciel saupoudrait sur Paris une pluie fine et froide, et comme lui, j'étais d'humeur maussade. J'attendais un métro qui n'arrivait pas lorsque j'entendis derrière moi :
— Ciao professore !
Me retournant, je vis une jeune femme qui me souriait.
Elle dut lire dans mon regard combien j'étais dérouté par la défaillance de ma mémoire car elle ajouta :
—Venezia, San Marco, Correr... Graziella !
Il ne me fallut qu'une seconde pour reconnaître en elle la jeune fille qu'autrefois j'avais rencontrée à Venise. Le seul mot qui me vint à l'esprit fut :
— Orfeo...
— Ed Euridice ! répondit-elle en riant.
Graziella ! Je lui avais donné ce nom en souvenir du roman de Lamartine.
La première fois que je l'avais vue, c'était au musée Correr. Elle était assise devant Orphée, de Canova, et le croquait. J'étais resté un long moment à la regarder et je ne saurais dire de qui, d'elle ou de l'Eurydice au pied de laquelle elle se trouvait, j'admirais le plus la beauté. Quand elle rangea son bloc et ses crayons, je lui proposai comme une chose toute naturelle de venir prendre un café à la terrasse de l'hôtel San Marco où j'étais descendu. Elle accepta.
Elle m'expliqua qu'elle étudiait l'histoire de l'art. Comme c'était la première fois que je venais dans la cité des Doges, elle me proposa de jouer les guides pour me faire découvrir SA ville ; les quinze jours qui suivirent furent les plus délicieux de toute mon existence.
Et voilà que le hasard nous remettait en présence... vingt ans plus tard.
La rame de métro entra dans la station, les voyageurs se précipitaient pour y prendre place. La bousculade, qu'en d'autres temps je n'aimais guère, m'accorda ce jour-là une faveur : un mouvement de foule nous rapprocha, nous obligeant à nous serrer l'un contre l'autre. Quand la cohue cessa, elle ne s'écarta pas. J'ai pris doucement son visage entre mes mains et lui ai dit : elle avait seize ans ! - Oui, seize ans ! et cet âge
N'avait jamais brillé sur un front plus charmant !
Et jamais tout l'éclat de ce brûlant rivage
Ne s'était réfléchi dans un oeil plus aimant !
...
Que son oeil était pur, et sa lèvre candide !
Que son ciel inondait son âme de clarté !
Le beau lac de Némi qu'aucun souffle ne ride
A moins de transparence et de limpidité !
Et sa voix se mêlant à la mienne :
Mon image en son coeur se grava la première ;
Comme dans l'oeil qui s'ouvre, au matin, la lumière ;
Elle ne regarda plus rien après ce jour ;
De l'heure qu'elle aima, l'univers fut amour !
Autour de nous, quelques passants s'étonnaient de voir un aussi vieux monsieur étreindre si tendrement, sur un quai, une femme bien plus jeune que lui. Mais nous nous moquions éperdument de leurs qu’en-dira-t-on.
— Graziella mia, viens, veux-tu que je te montre comment Psyché fut ranimée par le baiser d'Amour ?
Je vis alors se dessiner sur ses lèvres ce même sourire, enjôleur et mystérieux, qui m’avait tant séduit le premier jour à Venise.
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Illustrations : sculptures d'Antonio Canova
En haut à gauche : Eurydice (musée Correr à Venise)
En haut à droite : Orphée (musée Correr à Venise)
En bas : Psyché ranimée par le Baiser d'Amour (musée du Louvre à Paris)
Les vers sont extraits du poème Premier Regret d'Alphonse de Lamartine.
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Par Edgard-Varnerel le 19 Août 2019 à 09:20
C’est le temps des moissons, l’été commence à peine,
Et déjà les épis qui mûrissent en plaine
Se mettent à craquer, regorgeant de soleil.
Depuis quand n’a-t-on vu pareille canicule ?
La nature, immobile, attend le crépuscule
Et semble s’abriter sous un profond sommeil.
Dans un cercle magique, inondé de lumière,
Un havre de verdure au sein de la forêt,
Un étang se repose au bord d’une clairière,
Auprès d’une futaie où rien ne transparaît.
Aucun souffle de vent, seule une herbe balance
Quand un gros hanneton vient se poser dessus
Et même les oiseaux respectent le silence,
Ils boivent la fraîcheur des grands arbres moussus.
Pourtant des travailleurs passent inaperçus,
Actifs dans la fournaise avec indifférence,
Peuple lilliputien des insectes issus
D’on ne sait quel creuset, d’on ne sait quelle engeance.
Un charançon du trèfle, attentif et discret,
Évite de passer près de la fourmilière,
Il s’en va titubant, puis il marque un arrêt,
Dédaigneux du lézard qui dort sur une pierre.
Le bousier ne sait pas que son sort est pareil
A celui de Sisyphe : il roule sa pilule
Dans cet antre putride où l’excrément pullule.
C’est le temps où les blés blondissent au soleil,
Il faut qu’avant ce soir la grange soit bien pleine,
L’homme ne peut songer à ménager sa peine.
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Sonnet double à rimes palindromiques
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Par Edgard-Varnerel le 2 Août 2019 à 16:00
Allez vous-en, vieilles bacchantes,
L’été finit, l’été se meurt,
Demain, les chaleurs suffocantes
Feront place aux frimas, sans heurt.
Partez, fuyez loin de nos plages,
Qu’à nouveau les sables soient nus ;
Rajustez vite vos corsages
Et cachez vos appas charnus.
J'entends le rire des mouettes
Vous voyant griller votre peau
Ou quand vous faites vos trempettes
En plongeant votre cul dans l’eau !
Quand vous aurez quitté la grève,
Repris la route en long convoi,
A l’heure où le soleil se lève,
J’aurai l’océan tout à moi.
Et par les nuits de pleine lune,
Sur un platin, j’irai m’asseoir,
J’attendrai que vienne Neptune
Juste pour lui dire bonsoir.
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Par Edgard-Varnerel le 3 Juillet 2019 à 18:37
45° à l'ombre ! C'est sans nul doute le jour le plus chaud de ces dix dernières années.
J'ai laissé les volets fermés pour tenter d'empêcher la chaleur de squatter la chambre, mais en vain. Je sens des gouttes de sueur descendre entre mes omoplates et le bourdonnement des mouches qui tournent inlassablement autour de la lampe rompt le silence pesant qui m'écrase. Je reconnais les premiers symptômes d'un accès de paludisme, je lutte, mais c'est inutile : le mal me submerge, la fièvre emporte mon esprit.
Le bruit des mouches s'amplifie et ce sont maintenant des palmes d'hélicoptères qui brassent l'air chaud. Il arrivent, ils sont là, larguent lâchement leurs bombes qui descendent vers nous avec un sifflement terrifiant, explosent, répandent leur napalm sur le camp. La croix rouge dessinée sur notre hôpital de campagne ne nous offre aucune protection contre cette mort aveugle. L'odeur âcre des chairs brûlées nous donne la nausée, les membres se tordent, les visages grimacent. Ceux qui ont échappé à ce feu infernal courent, paniqués, pour aller se réfugier dans la jungle ; ils oublient que les pistes sont truffées de mines antipersonnel : les pieds sont arrachés, les os cassent, les plus chanceux s'en tirent avec de vilaines plaies qui s'infecteront demain dans les marécages nauséabonds qui nous entourent.
Peu à peu, je reprends mes esprits et je sens une présence amie à mes côtés. C'est mon chien qui me lèche la main, ne comprenant pas que je reviens d'un passé lointain : Vietnam, 1962.
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